Entretien avec Louis-Jean Rousseau

Louis-Jean Rousseau est un acteur majeur de la coopération internationale en matière d’aménagement linguistique et de terminologie. Au cours de sa carrière, il a occupé les fonctions de secrétaire général du Réseau international de néologie et de terminologie (RINT) et du Réseau international francophone d’aménagement linguistique (RIFAL), Président du Sous-comité 1 (terminologie et ressources linguistiques : principes et méthodes) du CT 37 de l’Organisation internationale de normalisation (ISO). Il demeure très actif au sein du Réseau panlatin de terminologie (REALITER), de même qu’au sein de nombreux autres réseaux.

Louis-Jean Rousseau

 


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1) M. Rousseau, en quoi la terminologie vous passionne-t-elle?

Je crois que du plus loin que je me souvienne, les mots m’ont toujours passionné : leur forme, leur sens, leur utilisation dans différents contextes… c’est sans doute ce qui m’a conduit vers les études en linguistique. La terminologie est venue ensuite comme un prolongement naturel de mes études.

Ce qui m’intéresse en terminologie, c’est l’aspect dénominationnel, mais également l’aspect cognitif. La capacité de nommer les choses contribue à l’appréhension et au classement des connaissances. La fonction « communication » est aussi très intéressante. Comme le monde actuel se « technologise » de plus en plus, la terminologie et, de manière plus large, les technolectes envahissent la langue de tous les jours. La terminologie devient donc un outil précieux pour l’acquisition et la transmission du savoir auprès d’un public de plus en plus large.

 

2) Vous avez travaillé la majeure partie de votre carrière à l’OQLF (Office québécois de la langue française). Comment la terminologie a-t-elle évolué depuis vos débuts?

À cette époque, dans les années soixante-dix, la terminologie, qui avait alors émergé au Canada dans un contexte de traduction, s’est déployée au Québec dans la perspective de la politique linguistique qui visait à redonner à la langue française la première place dans la vie publique et, plus particulièrement, dans le monde du travail. Il était impératif, afin de répondre adéquatement aux immenses besoins terminologiques de la société québécoise, de mettre de l’avant une méthodologie du travail terminologique susceptible d’assurer l’élaboration, le traitement et la diffusion de la terminologie dans de nombreux domaines de l’activité humaine. La méthodologie que nous avons mise au point se situait à la jonction de l’approche cognitive de la terminologie, de la linguistique de corpus (bien avant la création de la terminotique), et de ce qui allait être nommé plus tard la socioterminologie, dans la mesure où il semblait nécessaire de tenir compte des usages réels et des situations de communication. Cette vaste entreprise a alors donné naissance à la Banque de terminologie du Québec, que l’on nomme aujourd’hui le Grand dictionnaire terminologique.

De nos jours, compte tenu du volume des ressources terminologiques désormais disponibles, les terminologues travaillent surtout à la mise à jour des terminologies, qu’il s’agisse de la veille néologique ou de suivre l’évolution des terminologies existantes. Ce qui a surtout changé, c’est l’introduction de l’informatique à toutes les étapes du travail terminologique grâce aux nombreux outils qui peuvent être intégrés ou interconnectés dans le poste de travail du terminologue, ce qui a entraîné d’importants gains de productivité et d’efficacité.

 

3) Vous avez travaillé pendant trois ans auprès de l’Organisation internationale de la Francophonie en tant que responsable des politiques linguistiques et de l’aménagement des langues. Pouvez-vous nous dire en quoi consistait votre travail?

Mon travail à l’OIF se situait dans la perspective de la promotion de la diversité linguistique, qui était vue comme un enjeu capital. En effet, en 2001, les ministres de la Culture des États et gouvernements de la Francophonie avaient adopté le Plan de Cotonou sur la diversité culturelle et linguistique, qui invitait la Francophonie à se pencher sur la question des langues, le français et les langues partenaires, tant en ce qui a trait à leur statut, à leur usage et à leur développement interne.

Le plan de Cotonou voulait assurer la mise en place de politiques linguistiques et de structures appropriées favorisant le développement harmonieux de la langue française et des langues partenaires, et entendait renforcer le rôle de ces langues en tant que vecteurs d’expression des créateurs, de développement, d’éducation, de formation, d’information, de communication de l’espace francophone, autant d’activités qui ont en commun l’usage des langues. Ce plan visait trois sphères d’action pour la Francophonie :

  • la langue française ;
  • les langues partenaires ;
  • les relations avec les autres aires linguistiques (hispanophonie, lusophonie, russophonie, etc.).

Mon travail a consisté à mettre en place des programmes et des activités susceptibles de favoriser l’atteinte de ces objectifs, notamment en collaboration avec de nombreux partenaires et réseaux, dont le RIFAL (Réseau international francophone d’aménagement linguistique), REALITER (Réseau panlatin de terminologie), de même qu’avec diverses organisations nationales et internationales.

 

4) Vous êtes un membre fondateur de REALITER (Réseau panlatin de terminologie). Lors de la journée scientifique en 2015, le travail terminologique au Parlement européen a été présenté, quelle a été votre impression?

Ce réseau REALITER, qui existe depuis plus de vingt ans est très important et pourrait servir d’exemple à plusieurs autres aires linguistiques. La création de ce réseau avait pour principal objectif de favoriser le développement harmonisé des langues néolatines, compte tenu de leur origine commune ainsi que du fait qu’elles ont recours à des modes de formation lexicale voisins et qu’elles utilisent des formants semblables. Dans l’esprit des fondateurs, REALITER devait accomplir les tâches suivantes :

  • établir des principes méthodologiques communs applicables à la réalisation des produits élaborés conjointement ;
  • mener des recherches en commun et créer des outils susceptibles de favoriser le développement des langues néolatines ;
  • mener des travaux terminologiques conjoints multilingues dans des domaines d’intérêt commun touchant la société ;
  • mettre en commun les matériaux de référence documentaires ;
  • favoriser la formation réciproque à travers les échanges de formateurs, d’experts, d’étudiants et de matériaux didactiques.

Plusieurs de ces objectifs ont été réalisés du moins, partiellement, et, parmi ceux-ci, la tâche de mener en commun des recherches a pris la forme de la tenue de journées scientifiques annuelles. Je n’ai pas pu participer à la journée REALITER 2015 évoquée ci-dessus, mais je crois qu’il est important de saluer la constance du travail de ce réseau qui doit demeurer une source d’inspiration.

 

5) Cette XIIe journée scientifique REALITER aura pour thème “Terminologie et Normalisation”. Quel est selon vous le rapport entre la terminologie et la normalisation?

La normalisation terminologique est présente non seulement dans les organisations terminologiques nationales, mais elle accompagne également la normalisation technique à l’échelle internationale, notamment dans le cadre de l’ISO. Dans mon esprit, il faut distinguer d’une part le travail terminologique, qui vise essentiellement à décrire et organiser les terminologies, et d’autre part, la normalisation de la terminologie, qui doit bien entendu se fonder sur le travail terminologique rigoureux, mais qui comporte l’étape supplémentaire de l’évaluation des usages réels afin d’assurer une certaine uniformisation de l’usage, dans la perspective de l’intercompréhension. Le travail terminologique peut être effectué dans des circonstances variées : entreprise, administrations, organisations professionnelles nationales ou internationales, recherche universitaire, etc. Cependant, la normalisation terminologique est généralement le fait d’organisations faisant autorité dans leur domaine de compétence. De plus, la normalisation terminologique est généralement le résultat de consensus parmi les utilisateurs de la terminologie, car la normalisation terminologique doit nécessairement se fonder sur la description des usages et répondre à des critères d’acceptabilité linguistique et socioterminologique.

 

6) Vous travaillez désormais comme consultant privé. Votre activité couvre-t-elle aussi le domaine de la terminologie?

En matière de terminologie, je m’intéresse surtout aux questions méthodologiques et également aux fondements scientifiques de la terminologie. Ainsi, je participe à de nombreux colloques et je publie régulièrement. De plus, je collabore toujours aux travaux du Comité technique 37 de l’ISO (Terminologie et autres ressources langagières et ressources de contenu) et je m’intéresse à l’organisation et à la mise en œuvre de travaux terminologiques, notamment dans le contexte de programmes d’aménagement linguistique.

 

7) Connaissez-vous la base de données terminologique de l’Union européenne IATE? Qu’en pensez-vous? L’utilisez-vous?

Bien que je n’utilise plus régulièrement les banques de terminologie, c’est un domaine dans lequel j’ai beaucoup œuvré. Chacune des grandes banques de terminologie que nous connaissons maintenant possède des caractéristiques qui lui sont propres et qui tiennent avant tout aux besoins des utilisateurs visés, à la structure informatique, à la politique de diffusion et au contexte d’élaboration. IATE a été créé pour répondre aux besoins de la traduction multilingue dans le contexte des institutions européennes, dans les nombreux domaines qui relèvent de leur compétence. Ayant pu à plusieurs reprises consulter cette banque et prendre connaissance de ses structures, je crois qu’elle répond très bien à ses objectifs. Comme c’est le cas des grandes banques de terminologie alimentées par des sources diverses, il est inévitable que le contenu présente des données variables et parfois divergentes, mais il s’agit là d’un problème inévitable qui peut être corrigé par des programmes de mise à jour permanente. La principale qualité de cette banque demeure sa richesse, son actualité et sa facilité de consultation.

À propos des banques de terminologie, la question de la consultation de multiples banques par les traducteurs revient périodiquement. La question de la multiplicité des banques de terminologie, que les utilisateurs ne peuvent consulter simultanément, a souvent soulevé l’intérêt pour la fusion éventuelle des banques. Il y a quelques années, j’ai présidé un groupe de travail qui a proposé la création d’un portail terminologique qui pourrait donner un accès simultané à plusieurs banques de terminologie, facilitant ainsi le travail des traducteurs et des autres usagers de ces banques. Comme il n’est guère possible de songer à la fusion des banques, compte tenu de leur diversité de contenu, de structures et de politiques de diffusion, ce portail aurait constitué l’outil idéal pour l’ensemble des traducteurs de la pratique privée ou institutionnelle. Malheureusement, faute de soutien financier de la part des organisations qui avaient, dans un premier temps, soutenu l’entreprise, le projet est demeuré lettre morte.

 

8) Comment voyez-vous le futur de la terminologie en tant que discipline? Pensez-vous qu’elle offre des débouchés pour les jeunes?

Aujourd’hui, la terminologie est omniprésente notamment dans les activités suivantes :

  • activités de conception ;
  • élaboration et de transfert des connaissances ;
  • traitement de l’information ;
  • gestion des connaissances et des données textuelles et documentaires ;
  • échanges économiques, scientifiques et culturels ;
  • commerce électronique.

Elle trouve son application dans les technologies de l’information et de la communication, de plus en plus complexes ayant trait à l’ingénierie linguistique :

  • l’informatique documentaire ;
  • l’élaboration des ontologies ;
  • les systèmes experts ;
  • les outils d’analyse et de génération de texte ;
  • les outils pour la traduction assistée par ordinateur, la lexicomatique et la terminotique ;
  • les outils d’aide à la rédaction et à l’édition ;
  • les outils de saisie automatique de l’écrit ;
  • les outils de traitement automatique de la parole ;
  • la localisation ;
  • les outils inforoutiers (navigateurs, moteurs de recherche, etc.).

La simple énumération de ces quelques domaines d’application démontre à quel point la terminologie en tant que pratique professionnelle a un bel avenir, même si l’exercice de cette profession porte parfois d’autres noms.

 


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Photo LucileInterviewer

Lucile Mirande-Bret a obtenu un bachelier en Traduction (français, anglais et espagnol) et ensuite un Master en Terminologie à l’Institut Libre Marie Haps. Pendant son Master, elle a participé bénévolement comme Dialog Assistant Liaison lors des Jeux Européens Special Olympics à Anvers aux côtés de la délégation slovaque. Pendant les réunions, les repas et les épreuves, elle s’assurait que toute l’équipe n’ait pas de difficultés de compréhension. Ensuite, après un stage en terminologie à Madrid dans un bureau de traduction, elle décida de rester dans la capitale madrilène et travailla pendant quelques mois dans une entreprise de nouvelles technologies comme traductrice. Elle a rejoint l’équipe des stagiaires TermCoord en avril 2016.